Dans un premier temps, nous avons l'impression d'un paysage imposant devant nous. Ensuite, en nous approchant de l'œuvre, nous ressentons instantanément le mouvement du vent et des vagues. Enfin, tout près de l'œuvre, nous sommes surpris lorsque nous réalisons que le mouvement est élaboré à partir de traces sculptées sur une plaque de granit massive, l'un des matériaux les plus statiques utilisées en sculpture. Sa texture ne vient pas d'un coup de pinceau, mais, du granit creusé par une meuleuse d'angle. Il est même surprenant de ressentir une telle fluidité et une telle tendresse picturale (malerisch, pour reprendre les termes d'Heinrich Wölfflin) émanant de la pierre manipulée par JUNG Kwangsik. En matière de peinture, son style fait penser au postimpressionnisme, et, en matière de sculpture, ses œuvres seraient considérées comme un bas-relief. Pourtant, nous ne pouvons qualifier ses œuvres ni de sculpture ni de peinture. Elles matérialisent la picturalité propre à la sculpture.
Comment engendrer une dynamique à partir de ces matériaux inanimés, solides et monotones ? C’est la première question de la sculpture. La grammaire principale de la sculpture est d’entremêler le dynamique et le statique pour créer une figure. Cependant, la dynamique créée par JUNG Kwangsik s'apparente davantage à celle de la peinture qu'à celle que les sculpteurs expriment traditionnellement. Ses œuvres sont véritablement picturales dans la mesure où il crée des mouvements et des textures par une myriade de coups de meuleuse et non en sculptant des formes en bas-relief. Ses sillons sculptés, tantôt alignés, tantôt entrecroisés, créent des mouvements de texture équivalents aux coups de pinceau très épais comme nous pouvons en voir dans les oeuvres de Van Gogh. Ces creux remplacent les coups de pinceau épais, rustiques, et donc, picturaux, puis font émerger des images.
Ses oeuvres sont véritablement sculpturales car le contraste des creux de plaques de granit faits de coups de meuleuse révèle quelque chose d’essentiel de la matière, tandis que celui de la peinture vient d’ajout des pigments par des coups de pinceau sur les toiles. Ses oeuvres sont belles et bien sculpturales, dans le sens où l’impression venant des creux sur la plaque de granit change selon la lumière et notre point de vue. Elles n'existent pas seulement en tant qu'image, mais en tant que matérialité tangible. D'ailleurs, nous pouvons parfois constater l’audace de l’artiste quand nous voyons que les mouvements sculptés dépassent les bords de la plaque de granit rectangulaire équivalente à la toile. Ce faisant, il montre bien que la propriété sculpturale de ses oeuvres ne peut être subsumée sous celle de la peinture.
Pour comprendre le positionnement de JUNG Kwangsik, nous pouvons faire une référence au dernier tableau de Duchamp, Tu m’ (1918), afin d’expliquer la relation de JUNG Gwangsik avec la peinture. Dans cette oeuvre, Duchamp rompt avec une variation de couleurs limitée sur une surface plane et cherche un autre médium, une sorte de réel, tout en offrant une critique dadaïste de la peinture. En d’autres termes, il sonne le glas de cette dernière. JUNG Kwangsik, quant à lui, présente une matière élaborée, tangible et picturale, alors que Duchamp impose des jeux d’objets. Ces perceptions imposantes dispersent tout concept ou notion évocatrice qui nous vient à l'esprit. L'ajout de pigments à la matière, pour lui, n'est pas la même chose que l'application de couleurs dans le tableau. La texture et le contraste qu'il crée ne résultent pas de clair-obscur ni de coups de pinceau, mais du fait que la lumière révèle la matière sculptée telle qu'elle est, et que sa surface colorée ne fait que les maximiser. Ainsi, ses paysages sont une réponse raffinée de la sculpture à la peinture.
Pourtant, la rencontre la plus spectaculaire qu'il fait n'est peut-être pas entre la peinture et la sculpture, mais entre notre propre paysage mental et sa matérialité sculptée. Oubliant la plaque de granit pesante, nous voyons le clapotis des vagues, le balancement des arbres et un paysage qui nous regarde... Ses œuvres placées sous nos yeux sont un paysage qui nous mène à la contemplation en gardant les pieds sur terre.